Désinformation et fausses informations
La diffusion de la désinformation et de fausses informations constitue un défi pour la prise de décision éclairée et la cohésion sociale en Méditerranée, car elle érode la confiance et sème la discorde. Nous devons nous armer de connaissances et de vigilance pour lutter contre la propagation des mensonges à travers une pédagogie axée sur la compréhension du monde médiatique, la vérification des faits et la transparence dans la diffusion de l’information.
Saja Mortada
Depuis quatre ans, la journaliste d’investigation Saja Murtada se lève chaque matin avec une mission claire : lutter contre la désinformation médiatique dans le monde arabe.
Forte de plus de dix ans d’expérience dans les médias et le journalisme d’investigation auprès de grandes institutions libanaises et internationales, Saja allie cette expertise à un parcours académique continu et à une passion profonde pour son métier.
Elle dirige le Réseau Arabe des Vérificateurs de Faits (AFCN), une initiative lancée fin 2020 sous l’égide du réseau ARIJ (Journalistes Arabes pour le Journalisme d’Investigation), en réponse aux campagnes de fausses informations qui ont marqué la pandémie de COVID-19. Depuis sa création, l’AFCN accompagne des institutions et des vérificateurs de faits indépendants dans seize pays arabes, en leur fournissant des formations, une protection, un réseau d’échanges et des outils d’innovation. Le réseau regroupe actuellement 41 organisations et plus de 250 vérificateurs de faits, atteignant ainsi des millions de lecteurs dans le monde arabe.
« Je parle de combattre la désinformation, pas de l’éliminer, car nous ne pourrons jamais stopper complètement la diffusion de fausses informations. Elles existeront toujours tant qu’il y aura des personnes ou des entités qui y trouvent leur intérêt. Ce que nous pouvons faire, c’est réduire leur propagation et leur impact autant que possible. »
Les défis de la vérification des faits à l’ère numérique
Si la vérification des faits fait partie intégrante du journalisme depuis toujours, elle se cantonnait autrefois aux rédactions. Aujourd’hui, avec l’explosion des réseaux sociaux, l’essor du « journalisme citoyen » (où des non-professionnels diffusent des informations), et l’apparition d’outils basés sur l’intelligence artificielle et les « deepfakes », la vérification des faits est devenue un travail quotidien qui s’étend bien au-delà des rédactions, comme nous l’a expliqué Saja : « C’est une tâche quotidienne que les lecteurs ordinaires ne peuvent plus gérer seuls. »
Les fausses informations et la désinformation représentent aujourd’hui une « menace mondiale imminente », selon le rapport du Secrétaire général de l’ONU, António Guterres. Elles contribuent à diffuser la haine, à manipuler l’opinion publique, à accentuer les divisions, à menacer les systèmes démocratiques et les droits humains, tout en compromettant les politiques de santé publique et les efforts de sensibilisation au changement climatique.
De nombreux analystes évoquent l’avènement d’une « ère post-vérité » dans laquelle de nombreuses sociétés, y compris celles du monde arabe, basculent. Ce concept décrit une époque où l’engagement des individus envers des enjeux fondamentaux repose davantage sur des émotions ou des croyances personnelles que sur des faits objectifs. La désinformation y joue un rôle central, exploitant les peurs et les émotions pour atteindre des objectifs précis.
L’histoire du Réseau Arabe des Vérificateurs de Faits
En réaction aux campagnes de désinformation durant la pandémie de COVID-19, Saja nous a confié que le réseau ARIJ avait mené plusieurs études comparant la situation de la vérification des faits dans le monde arabe avec celle d’autres régions. « Ces études ont mis en lumière les besoins et les défis propres à la région. C’est ainsi que nous avons décidé de créer l’AFCN pour soutenir et structurer les institutions et praticiens de la vérification des faits dans le monde arabe, » a-t-elle expliqué.
À la suite de consultations régionales et internationales, le réseau a mis en place un code de déontologie auquel les membres, qu’ils soient des institutions ou des individus, doivent se conformer. Ce code fixe des principes professionnels et éthiques essentiels, tels que l’impartialité, l’objectivité, le respect de la propriété intellectuelle et la coopération. Les membres du réseau doivent également faire preuve de transparence en matière de financement (qu’il soit public ou privé) et garantir leur indépendance dans la gestion de leur travail journalistique.
Les services du Réseau Arabe des Vérificateurs de Faits
L’AFCN propose quatre types de services principaux : le développement des compétences, la protection, le réseautage et l’innovation.
- Développement des compétences : Le réseau forme les journalistes et les vérificateurs de faits à travers des séances de mentorat et des cours en ligne, ouverts ou sur invitation. Il forme également les membres aux principes éthiques fondamentaux, en adaptant leurs compétences aux défis émergents.
- Protection : Saja souligne que la protection et la sécurité des journalistes sont une priorité absolue : « Protéger le journaliste ou le vérificateur de faits est plus important que n’importe quelle enquête ou démarche de vérification. » Le réseau fournit les outils de protection numérique les plus récents, améliore les compétences des vérificateurs dans les situations de conflits, manifestations, arrestations ou poursuites. Il propose également un soutien psychologique via des groupes ou des consultations individuelles, ainsi qu’une protection juridique en cas de besoin.
- Réseautage : L’AFCN vise à rapprocher les vérificateurs de faits tout en encourageant la coopération et la compétition saine. Le réseau organise des rencontres régionales trimestrielles et propose des plateformes d’échange en ligne pour favoriser des collaborations entre ses membres. Il crée aussi des projets conjoints, tels que des initiatives liées aux élections ou aux conflits régionaux. Le réseau se réunit annuellement lors de la conférence ARIJ à Amman, où une centaine de vérificateurs se retrouvent pour échanger et apprendre.
- Innovation : Enfin, l’AFCN joue un rôle clé dans l’innovation numérique. Face au flot incessant d’informations, le réseau propose des outils digitaux, notamment basés sur l’intelligence artificielle, et développe des applications locales qu’il met gratuitement à disposition des membres. Le réseau a également lancé un chatbot sur WhatsApp, accessible au grand public pour vérifier des informations en ligne. Selon Saja, il analyse aujourd’hui environ une centaine de nouvelles chaque mois.
Bien que récent, l’AFCN a déjà eu un impact notable en quatre ans d’existence. Le réseau a formé plus de trois mille professionnels, contribué au développement de méthodologies pour certaines institutions de vérification des faits dans le monde arabe, et aidé certaines à rejoindre le Réseau International de Vérification des Faits.
« Grâce aux efforts du réseau, la sensibilisation à la désinformation progresse nettement dans la région arabe. Nous travaillons non seulement avec les professionnels et institutions de vérification des faits, mais aussi avec les médias, les universités, les ONG et le grand public pour sensibiliser à l’importance de la vérification sur les réseaux sociaux. L’AFCN est désormais une référence pour les institutions médiatiques et les écoles de journalisme du monde arabe qui cherchent des formations ou des informations sur la vérification des faits, et nous sommes également reconnus sur le plan international. »